Les femmes et le sport : la parité est en chemin… (de croix ?)

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La femme est-elle l'avenir du sport ? Nous tâcherons d'y apporter une réponse lors de notre belle conférence.

Si on remonte à l’Antiquité grecque, on se persuade assez facilement qu’il y avait un petit souci à l’époque en termes de parité dans le sport : les femmes étaient purement bannies des stades, sous peine de mort, même en tant que simples spectatrices.

Mais est-ce encore un sujet en ce début de 21ème siècle ? Après tout, les femmes sont représentées dans la plupart des sports, on les retrouve à tous les niveaux, dans les médias, dans les instances sportives, dans les ministères…

En regardant par le petit bout de la lorgnette, on aurait vite tendance à oublier que certains grands combats n’ont pas 50 ans. Le magazine Science et Vie (1) rappelle que durant des siècles, la pratique de toute activité physique fut interdite aux femmes par la religion et les bonnes mœurs. « Un interdit corroboré par le corps médical, qui voit dans le sport une nocivité pour leur fertilité ».

Certes, bien du chemin a été accompli depuis. Mais entre écarts de salaire dans la pratique professionnelle, différences de médiatisation ou encore sous-représentation dans les instances d’encadrement, les challenges à surmonter sont encore nombreux.

Quelles solutions peut-on mettre en œuvre aujourd’hui pour faire aux femmes une place plus juste dans le sport ? Et au-delà de l’enjeu sociétal, n’y aurait-il pas un réel intérêt économique dans la recherche de parité ?

Voyons cela..

Préambule : une petite histoire du sport féminin

La sociologue Catherine Louveau rappelle à juste titre dans un article paru dans Mediapart en 2012 (2) que toute l’histoire du sport s’est construite par et pour les hommes.

Un article de fond du magazine Womensport (4) explique que « c’est paradoxalement un texte de loi de 1882 qui serait jugé aujourd’hui extrêmement mysogine qui marque le coup d’envoi de la pratique sportive de masse pour les femmes. » L’éducation physique y est en effet alors inscrite pour préparer les garçons « aux futurs travaux de l’ouvrier et du soldat » et pour prédisposer les jeunes filles « aux soins du ménage et aux ouvrages des femmes ».

Ce n’est pas pour autant qu’on leur fait tout de suite une place au plus haut niveau : elles ne sont que 2% aux Jeux Olympiques de 1900.

D’ailleurs, Pierre de Coubertin lui-même a cette phrase en 1912 :

« Les Jeux Olympiques devraient être réservés aux hommes, leur rôle (les femmes) avant tout devrait être de couronner les vainqueurs ».

De grands combats en petites victoires, le sport va peu à peu se féminiser : aux JO de 1928, 277 femmes participeront aux côtés des 2606 hommes.

Dans les années 60, Kathrine Switzer, profitant d’un malentendu sur son nom, est la première femme à finir officiellement l’épreuve mythique du marathon, démentant tous ceux qui prétendaient qu’une femme n’aurait pas la force physique de finir l’épreuve. Et en 2018, 25% des participants au marathon de Paris sont des femmes.

Quant à cette citadelle de testostérone qu’est le football, il faudra attendre 1970 pour que la Fédération française n’y admette officiellement les femmes. Le film « Comme des garçons » sorti ce 25 avril le rappelle opportunément.

Voilà rapidement résumé un combat des temps modernes qui, s’il n’est pas gagné, a néanmoins permis de voir 45% de femmes athlètes aux JO de Rio en 2016.

Liberté mais pas égalité

Aujourd’hui, en théorie et réglementairement, les femmes peuvent pratiquer tous les sports.

Une étude du CDES (Centre de Droit et d’Economie du Sport) d’octobre 2017 montre d’ailleurs qu’en 10 ans, la pratique féminine s’est considérablement accrue et se rapproche aujourd’hui de celle des hommes. La part des femmes déclarant pratiquer au moins une activité sportive à l’année est passée de 79% à 90% entre 2000 et 2010, alors qu’elle ne progressait que de 88 à 93% chez les hommes (3).

Pourtant elles ne représentent toujours qu’un tiers des licenciés.

Frédérique Quentin, responsable du sport de haut niveau et du sport féminin à la Française des Jeux l’explique ainsi : le quotidien des femmes reste plus compliqué que celui des hommes. Elles ont davantage de responsabilités dans la vie de la maison et libérer du temps leur est moins facile.

Christelle Daunay (championne d’Europe du marathon en 2014 avec un temps de 2h25’14s et détentrice du record de France en 2h24’22’’) confirme que c’est une lutte quotidienne d’être une femme dans le sport, notamment de haut niveau : la gestion des grossesses, des enfants, plus tard la reconversion sont autant d’obstacles à une carrière sereine.

Jennifer Gueret-Laferté est bien placée également pour évoquer la vie de la sportive de haut niveau (elle cumule plusieurs titres en championnat de France sur 1500m et 800m). Pour elle, il n’est pas spécialement plus difficile pour une femme que pour un homme de pratiquer son sport mais elle estime en revanche que les femmes elles-mêmes se mettent des barrières et jouent la sécurité en assurant souvent une carrière à côté de leur vie sportive. Il est vrai que l’athlétisme permet difficilement de vivre en France et là, pas de différence entre hommes et femmes.

Justement, s’il y a un domaine où les écarts restent considérables, c’est bien celui de la rémunération.

Il y a principalement deux sports qui tirent leur épingle du jeu. Jennifer Gueret-Laferté et Christelle Daunay rappellent ainsi que dans l’athlétisme, les primes à la victoire sont équivalentes pour les femmes et les hommes.

Le tennis est l’autre bon élève en matière de parité financière : en 1973, Billie Jean King, la meilleure joueuse mondiale de l’époque, a réussi à imposer que les revenus des femmes soient identiques à ceux des hommes à l’US Open. Wimbledon et Rolland-Garros suivront… 34 ans plus tard.

En revanche, quand on parle de sports collectifs, deux mondes parallèles coexistent.

Un article de Midi Libre de mars 2017 (6) fait quelques comparaisons édifiantes.

Un joueur de basket en pro A gagne en moyenne 11000€ bruts par mois contre 4500€ pour une femme. Les écarts les plus faramineux concernent le football : 50000€ en moyenne pour un homme en D1 contre 3000€ pour une femme.

Quant au rugby, quand un joueur du Top 14 touchera 17000€, une joueuse devra…travailler à côté car elle n’aura qu’un statut d’amateur.

Pas étonnant dès lors qu’on ne trouve aucune femme dans le top 50 des salaires du sport publié par le journal l’Équipe en février 2018.

Les raisons de ces différences de traitement sont assez simples à trouver. Faute de sponsors et de médiatisation très poussée, les sources de financement manquent pour le sport féminin.

Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de Sporsora, complète cette analyse : « En matière de partenariat, 80 % des sommes investies le sont sur du sport masculin ».

Mais justement, l’apriori que le sport féminin ferait moins d’audience et donc moins d’argent est-il justifié ?

Sport, femmes et médias

Le temps d’antenne du sport féminin à la télévision a certes progressé, passant de 7% en 2012 à environ 20% en 2016, essentiellement tiré par les sports collectifs.

La médiatisation varie bien entendu en fonction des sports, comme pour les hommes. Christelle Daunay raconte que son titre de championne d’Europe en 2014 n’a eu que peu de retentissement médiatique. « Alors que son parcours est exceptionnel à plus d’un titre », pourrait-on ajouter : non seulement, elle a atteint le sport de haut-niveau à un âge où certains sont déjà en fin de carrière (29 ans), mais elle est également restée seule pendant 10 ans à ce niveau, avec en point d’orgue ce titre exceptionnel.

L’événement sportif féminin le plus regardé à la télévision française a été le match de basket France-USA aux JO de Londres en 2012 : il a rassemblé 4,3 millions de téléspectateurs (3). Et les Bleues (en football) ont gagné à trois reprises la bataille du prime time sur France 3 avec une part d’audience moyenne de 17,3%.

Le sport féminin à la télévision n’est pas une nouveauté : Eurosport et même France Télévisions à travers l’athlétisme et Roland-Garros notamment, en diffusaient déjà régulièrement. Mais, depuis peu, des compétitions exclusivement féminines sont mises à l’honneur sur les « grandes chaînes » (5).

Les raisons principales avancées pour expliquer la progression du sport féminin à la télévision sont l’intérêt croissant du public mais aussi les coûts exorbitants de certaines compétitions masculines, qui « obligent » les chaînes à se diversifier. Un rapport du Conseil de l’audiovisuel supérieur révèle d’ailleurs que les Coupes du monde féminines de football « se sont révélées directement rentables «  en 2015 alors que « les compétitions masculines sont difficilement rentables. « 

En outre, le sport féminin dispose d’une excellente image : moins de triche, moins d’insulte, plus de pureté, de plaisir… finalement il permet un développement bienvenu des recettes audiovisuelles grâce à une audience plus engagée.

Et le rôle des organisateurs d’événements sportifs ?

Si la plupart des épreuves olympiques sont séparées (à l’exception de la voile et de l’équitation), il y a un certain nombre d’épreuves grand public où les organisateurs ont le choix de promouvoir plus ou moins le sport féminin, notamment dans le domaine de la course à pied.

La course pédestre « La Parisienne » en est à sa 22ème édition cette année et réunit environ 40 000 participantes (exclusivement des femmes), de 16 à 80 ans. Arnaud Bruny, qui en est le directeur technique, explique le succès de l’événement par les facteurs suivants : une distance modérée (7km), une ambiance festive, une absence d’hommes. Autant de paramètres qui permettent de se lancer dans une première épreuve sans appréhension.

Frédérique Quentin, qui s’y connait aussi en courses (elle a fondé et préside Odyssea, un ensemble de courses en faveur de la lutte contre le cancer du sein, qui réunissent 100 000 coureurs par an en France) nuance : « Les courses typiquement féminines, si ça permet aux femmes de se lancer, pourquoi pas, c’est plus sécurisant et ça peut gommer la peur de pratiquer. » Mais elle n’est pas particulièrement pour leur développement car elles peuvent avoir un côté cloisonnant voire « ghetto ».

Arnaud Bruny avoue que si le concept de la Parisienne emporte l’adhésion d’une large majorité, cette course subit aussi parfois des critiques de sexisme. Comme d’autres.

En 2017, à Rouen, la course Run After Me tentait de proposer un concept inédit de départ différé entre femmes et hommes afin de favoriser une arrivée simultanée. Le concept avait été plébiscité par les femmes qui étaient 2/3 sur la ligne de départ, fait exceptionnel pour une course à pied. Malgré tout, un « journaliste » mal informé du journal Paris Normandie avait cru bon de titrer « A Rouen, une course solidaire et sexiste » (solidaire car la course était en faveur de la Fondation Charles Nicolle).

Le concept de départ différé semble pourtant faire des émules. Pour la première fois, le marathon de Paris a proposé en avril 2018 un départ différé pour les élites. Les meilleures femmes partaient avec une avance de 16 minutes par rapport à leurs homologues masculins.

Christelle Daunay, qui a commenté la course pour France 2, estime que ce concept a rendu la course plus attrayante, permettant de créer un suspens d’un nouveau genre et a mis en avant les meilleures filles. Il a permis une arrivée presque simultanée de la première femme et du premier homme et donc une médiatisation accrue pour les féminines.

Edouard Cassignol, le directeur des épreuves grand public d’A.S.O. (société organisatrice du marathon de Paris), souhaitait justement une « égalité de traitement médiatique ». Résultat atteint donc, au moins pour les élites.

Faudra-t-il étendre ce concept à toutes les épreuves et à toutes les catégories ?

Jennifer Gueret-Laferté, si elle comprend que le principe des courses féminines puisse séduire pour une première fois, préfère elle les courses mixtes avec des concepts innovants, tels que ce qui a été fait au marathon de Paris cette année ou le concept lancé à Rouen l’an passé.

Créer de la parité sans discriminer, tel est donc le défi des organisateurs d’événements qui savent que le sujet est sensible.

Le combat continue

Pour poursuivre la lutte contre les disparités, il faut « inlassablement rendre visibles ces inégalités et discriminations », comme l’écrit Catherine Louveau.

C’est ce que font avec talent nombre d’associations et de fondations.

Christelle Daunay évoque aussi le rôle des Fédérations : elles doivent aménager les horaires de pratique pour les rendre compatibles avec la vie familiale.

Concernant la pratique quotidienne, Frédérique Quentin souligne le rôle que les patrons et les DRH peuvent jouer en encourageant le sport en entreprise.

Et bien sûr, les enseignants, éducateurs et animateurs du secteur doivent bénéficier d’une formation à l’égalité.

La ministre des Sports Laura Flessel a dévoilé mercredi 15 mars une campagne de communication contre les discriminations dans le sport baptisée « Ex Aequo » qui doit lutter contre le sexisme notamment (mais aussi contre le racisme, l’homophobie…) avec ces mots :

«Il est temps ! Temps de casser les barrières, de changer les mentalités, de libérer la parole, de déconstruire les stéréotypes. »

Les campagnes de sensibilisation, l’éducation, les rappels à la loi sont bien sûr des passages indispensables. Mais il y a un levier qui souvent produit des résultats spectaculaires : c’est le levier économique.

Le sport féminin offre en effet aux marques comme aux chaînes une vraie opportunité de créer un message différenciant et de toucher un nouveau public à fidéliser. En Allemagne et en Suède par exemple, le foot féminin réalise des audiences phénoménales.

Il s’agit donc pour les médias comme pour les marques de lancer le cercle vertueux : plus on montrera de sport féminin, plus les spectateurs auront envie d’en voir, plus les sponsors s’y intéresseront, plus les revenus augmenteront, plus on se rapprochera de l’égalité dans le sport professionnel. Et par ricochet, comme toujours, les bénéfices s’en feront sentir dans la pratique de masse.

Ainsi l’existence d’un gisement économique non encore exploité constitue une vraie chance pour l’évolution du sport féminin. A moins que ce ne soit le sport féminin qui constitue une vraie chance pour les acteurs de l’économie et de la filière sport ?

Car finalement, vu sous cet angle, la femme ne serait-elle pas l’avenir du sport ?

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Merci à Romain Hazebroucq pour sa talentueuse illustration de cet article.

Si le sujet développé dans cet article vous intéresse, n’hésitez pas à participer à la belle conférence-débat organisée par Neoma Alumni, le 5 juillet à 19h à Paris.

Inscription et renseignements en cliquant ici: Lien 

 

Sources :

(1)   Science et Vie, Karine Jacquet, 26 avril 2018, https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/quels-sports-les-femmes-ont-elles-pratiques-au-cours-de-l-histoire-10840

(2)   Mediapart, Catherine Louveau, 4 août 2012, https://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/040812/les-femmes-dans-le-sport-inegalites-et-discrimination

(3)   http://www.womensports.fr/pourquoi-faut-il-miser-sur-le-sport-feminin/

(4)   http://www.womensports.fr/femmes-et-sport-lhistoire-dun-long-combat, Camille Journet, juillet 2016

(5)  Les Echos, Thomas Chenel, 22 août 2017, https://www.lesechos.fr/22/08/2017/LesEchos/22512-068-ECH_le-sport-feminin-seduit-de-plus-en-plus-de-chaines-et-de-telespectateurs.htm

(6)  http://www.midilibre.fr/2017/03/08/parite-salariale-dans-le-sport-c-est-pas-gagne,1476001.php

(7)   https://www.francetvinfo.fr/economie/disparites-salariales/pourquoi-les-inegalites-salariales-sont-plus-marquees-dans-le-sport-qu-ailleurs_2653312.html

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